Quel est le sens de la pratique ?
Comment l’aborder dans sa globalité pour s’en imprégner profondément quand sa nature même est complexe et pas entièrement connue ?
Je pratique Aunkai Bujutsu, école de Minoru Akuzawa sensei. Un OVNI dans l’univers des arts martiaux japonais.
Comment cataloguer une école qui ne rentre pas dans le cadre habituellement utilisé ?
Depuis l’avènement de l’Ere Meiji de nouveaux courants et de nouveaux styles d’arts martiaux ont vu le jour. Ils sont classés dans la catégorie de gendai budo, arts martiaux modernes, post 1868, tels que Judo, Aikido ou Karete do, en opposition aux koryu (古流), école anciennes.
Ces gendai budo (現代武道, avec leurs formes de « Do », la Voie, ne suivent pas en général la même méthode de transmission technique ou culturelle que dans les koryu, et il est facile, pour les non-japonais, de mal le comprendre.
D’autant que, la modernisation, ou plutôt, l’occidentalisation du Japon, à poussée les jeunes générations à se désintéresser de plus en plus de ces pratiques. Et a accentué la pratique traditionnelle perpétuée dans les koryu dans l’esprit des budo.
Il nous faut donc faire la distinction entre ces différentes définitions, préciser la méthode de transmission traditionnelle et voir enfin comment classer l’école d’Aunkai Bujutsu au milieu de tout ça.
La facilité nous pousserait à simplifier les choses et à voir si l’école rentre dans les catégories suivantes :
- Bujutsu : techniques guerrière de combat (avec ou sans armes)
- Budo : voies martiales (de préservation de la tradition, des techniques et d’élévation spirituelle)
- Kakutogi : sport de combats
A l’évidence, les choses ne sont pas aussi simples pour l’Aunkai et on voit la difficulté de classement d’une école qui, ne pratique pas de compétition, mets l’accent sur un travail personnel notamment par le travail sur l’ego avec la notion de shuuchaku( 執着) qui indique un changement, une transformation perpétuelle (henka) qu’on retrouve dans son nom même (A Un, Un A) induisant par là un aspect philosophique de Aunkai (1). Mais qui se réclame de bujutsu car basé sur des principes du passé. Et son étude axé sur le ressentis et l’intuition.
( 1*. tiré d’un entretien privé avec Akuzawa sensei 12/03/17)
Essayons donc d’aller plus loin dans les définitions.
- Koryu
Selon la définition courante, un kôryu (古流, littéralement « École ancienne ») désigne une école (ryu) antérieure, du point de vue de leur fondation, à la restauration Meiji (1866) ou à l’Edit de Haitorei (1876), qui interdit le port du sabre. (source)
De nos jours, pour la majorité des pratiquants, un koryu véhicule l’idée de la transmission d’un enseignement hérité du fondateur, préservant une pratique à l’identique à travers les siècles.
L’effort de l’élève et du maître est de « ne rien oublier, ne rien changer et ne rien ajouter ». Souvent mal comprise par le public, une modification de la technique peut répondre à une exigence même des principes de l’école et une conservation de la technique à l’identique peut correspondre à une perversion des principes du fondateur de l’école. (source)
Pourtant, d’autres écoles anciennes ont au contraire fait évoluer leurs techniques au fil du temps.
La liste des kôryu, membres de la Nihon Kobudo Kyokai a été établie en 2009 et elle est publiée sur le site Koryu.com.
- Bujutsu
Bujutsu 武術 se traduit par techniques guerrières, qui décomposé selon les 2 kanji peut s’interpréter différemment.
Bu, Mu: c’est chose militaire, bravoure. (remarquez, que arrêter la lance nécessite bien les deux!)
Jutsu 術: c’est le corps qui acquiert des facultés, des techniques ou bien, la technique qui épouse le corps, se mélange.
- Budo
« J’ai parlé du budô, mais qu’est-il ? Contrairement à son image vulgarisée, le budô n’est pas une reprise directe de la pratique guerrière des arts martiaux. C’est une conception moderne qui vise une formation globale de l’homme – intellectuelle et physique – par la pratique des disciplines traditionnelles de combat. Le budô est un terme général qui recouvre l’ensemble de ces disciplines. » [Kenji Tokitsu; Le budô par dela les barrières culturelles]
Comme on peut le voir, toutes ses définitions ne nous donnent pas de réponses claires. La culture japonaise lie toutes ses pratiques et leurs expressions empêchant un classement net de celles-ci.
« Les Bujutsus et les Budos sont assez proches. Techniquement, même si dans les faits ils ne sont pas toujours semblables, ils n’ont aucune raison d’être différents. En Budo en revanche leur esprit l’est.
Le Bujutsu est lié à l’esprit de vaincre, à la victoire. Son étude a pour but de nous permettre de survivre en vainquant notre adversaire. Le Budo est une Voie. C’est un chemin de réflexion sur la vie qui va au-delà des concepts de victoire ou de défaite, même si leur pratique doit nous permettre de survivre en cas d’affrontement. »[Entretien avec Hino sensei (1)]
«Les Budo font partie des Dos, les Voies japonaises, telles que le Sado, le Buyo, etc… Ce sont des traditions dans lesquelles on se plonge afin de saisir l’essence de la vie. Dans le cas des Voies martiales notre partenaire de pratique, aïte, y est un miroir.
Comme leur nom l’indique les Budo sont des voies. Ils peuvent être transmis car, malgré leur difficulté, ce sont des chemins balisés. (…) Ce que j’appelle Bujutsu, enfin, est un processus par lequel on dépasse la dualité et transforme notre corps et notre esprit grâce à nos propres expériences, les douleurs et les peines que nous avons surmontées. C’est une Voie où l’on forge nos propres outils grâce à notre intuition, nos réflexions. Finalement je crois que la marque du Bujutsu est qu’il ne peut être transmis dans son intégralité… » [« Entretien avec Akuzawa senseï (6): Budo, Bujutsu, Kakutogi. » par L. Tamaki 22/11/2009]
Il est donc important de ne pas négliger la notion de transmission dans les arts martiaux.
Je vous invite à lire le travail de Meik Skoss paru dans « Aikido Journal #101 (1994) dont je reprends une petite synthèse.
«Les méthodes de transmission et d’enseignement ainsi que les techniques ne sont pas les mêmes dans les gendai budo. Sans que cela indique en quoi que ce soit une altération de leur qualité d’enseignement, ces écoles sont résolument des inventions modernes et ne doivent pas être confondues avec les koryū plusieurs fois centenaires.»
Mais la transmission traditionnelle a toujours été axée sur le ressentis et l’intuition.
En mettant l’accent sur la non-altération quant à la tradition et la forme d’exécution des techniques on oublie le fond. A savoir la recherche d’efficacité et d’adaptation des principes dans l’évolution de la société.
Pour résumer toute cette étude nous pouvons dire qu’Aunkai Bujutsu est en fait un Bujutsu dans le contenu de sa pratique et dans l’organisation de l’école.
Il s’apparente à un Budo dans la recherche de quête personnelle, dans la volonté du fondateur de le diffuser et dans la manière ouverte de transmission des principes techniques.
Il n’est pas un Koryu car il ne se réclame d’aucune lignée et parce qu’il contient des formes issue des arts martiaux chinois. Mais son essence et son esprit viennent des Koryu. Il possède également une transmission basée sur des principes du passé, donc une transmission traditionnelle, directement du fondateur vers un petit groupe d’étudiants (la formation des instructeurs)
La méthode de l’Aunkaï est le résultat de mes recherches sur le cœur des enseignements du bujutsu. Je suis arrivé à la conclusion que la technique n’était qu’une expression d’un corps dont l’essence est le bujutsu. [« Le maître de la force interne » interview de L. Tamaki 03/12/2009]
C’est comme si Aunkai Bujutsu était la « face cachée » des arts martiaux où la transmission des principes, habituellement réservée à l’héritier d’un ryu ou de son remplaçant (donc des okuden) était enseignée via un système du ressenti et de l’intuition.
Et pour finir, voici comment Akuzawa sensei résume brièvement son école :
« Aunkai Bujutsu est basé sur des principes du passé. Sinon j’aurais appelé ça Aun Do comme Judo ou Karaté Do. Mais c’est avant tout une quête personnelle.» (entretien privé 12/0317)
Quelle différence faite vous en Bujutsu et Budo?
Le Budo c’est plus du sport. On apprend graduellement et la connaissance se transmet de maître en maître et elle n’évolue pas. Le Bujutsu est à prendre dans le contexte de la vie quotidienne et il est sans cesse en évolution.
Dans l’Aunkai, je montre aux élèves ce que j’ai pensé. Mais mes étudiants vont aussi réfléchir. Nous ne sommes pas dans une logique de copie mais d’évolution.
Je ne transmet pas la copie conforme de ce que j’ai appris il y a 25 ans mais une version que j’ai travaillé et repensé. Dans le Budo comme en sport chacun fait comme le maître. En Bujutsu nous devons réfléchir par nous mêmes. (extrait d’article de Karaté Bushido n°1112 du 12/2011)
Sources et liens pour aller plus loin.